“Tout ce que j’ai toujours voulu dans la vie c’est d’être mère,” disait-elle en sanglotant tandis qu’elle s’effondrait pour enfouir son visage dans ses mains. Elle bredouillait entre deux sanglots : “Toute ma vie on m’a dit que d’être mère c’est ce qu’il y a de plus important. Maintenant, je me fais si vieille que je ne pourrai jamais avoir d’enfant. Quel sens a ma vie si je ne deviens pas mère? “

J’ai entendu des personnes exprimer des sentiments comme ceux-ci maintes et maintes fois durant mes vingt ans de travail clinique en psychothérapie avec des femmes membres de l’Eglise. Dans nos efforts pour reconnaître et valider la contribution cruciale des mères dans le monde transmettons-nous, de façon involontaire, le message que les femmes qui ne peuvent pas avoir ou élever d’enfants dans cette vie ont en quelque sorte moins de valeur aux yeux de l’Eglise et de Dieu? Une meilleure compréhension de notre doctrine révèle que cela n’est pas vrai; nous savons que «tous sont pareils pour Dieu» (2 Néphi 26:33) et que la valeur d’un individu ne dépend pas de ses accomplissements (n’est-il pas étrange de considérer les enfants comme des accomplissements?).

La doctrine de l’évangile enseigne l’importance vitale de créer des corps pour les esprits des enfants de Dieu et d’élever des enfants dans le Seigneur. Aucun de nous ne vivrait si ce n’était grâce à l’œuvre sacrée des mères. Personnellement, je suis éternellement reconnaissante à ma mère, d’être la mère de quatre enfants, et pour l’occasion de leur enseigner et d’apprendre d’eux. Cependant, il y a quelque chose à propos de certaines discussions concernant la maternité qui me met mal à l’aise. Nous mettons souvent la maternité sur un piédestal. Nous idéalisons souvent la maternité. Nous parlons de combien c’est noble – combien c’est important. Et ça l’est … mais il y a un moment où en faire trop et mettre la maternité et son importance sur un piédestal à un effet contre-productif, engendrant de la division et de la détresse au lieu de la joie.

Une partie de mon souci est que nous parlons souvent de la maternité comme si c’était la seule source valable d’identité et de sens pour une femme. Être mère est un aspect important de mon identité en tant que femme, mais ce n’est pas l’intégralité de mon identité. Bien que prendre soins de mes enfants soit une contribution importante, ce n’est pas la source de ma valeur. Lorsque nous parlons de la maternité comme l’aspect déterminant d’une femme, le cœur de son identité, ou la seule contribution précieuse qu’elle puisse faire au monde, cela peut isoler et aliéner les femmes qui ne le peuvent pas, ou qui n’en ont pas eu l’occasion, ou qui n’ont pas le désir d’avoir et d’élever des enfants dans cette vie.

Voici quelques manières principales pour lesquelles accorder trop d’importance et idéaliser la maternité peut nous faire du mal au niveau culturel, social et spirituel :

1) Lorsque nous classons les femmes uniquement ou principalement dans le sens de «  mère » ou « non mère », nous pouvons dresser involontairement les femmes les unes contre les autres et créer un sentiment de séparation au lieu d’un sentiment de lien et d’unité.

J’ai entendu les histoires déchirantes de femmes, mariées ou célibataires, qui pensent qu’elles se trouvent en-dehors de la plupart des cercles sociaux mormons. D’une manière ou d’une autre, (presque) tout le monde a l’impression de ne pas faire partie de quelque chose; n’exacerbons pas ce sentiment douloureux en créant nous-mêmes, par inadvertance, des catégories basées sur notre situation de famille. Enfants ou non, il y a tant de choses que les femmes de l’Église ont en commun. Nous sommes toutes des personnes, des sœurs, et nous faisons de notre mieux pour mener une vie juste et être proches du Seigneur.

2) Lorsqu’on idéalise la maternité, on risque de diminuer la valeur et la contribution des femmes qui n’ont pas d’enfants.

Je crois que l’un des objectifs de nos efforts dans l’église pour magnifier la maternité est une réponse à sa perceptible dévaluation dans la culture au sens large. Il est clair que de créer une famille ce n’est pas la chose à laquelle on donne le plus de valeur dans le monde, et ce n’est certainement pas la chose la mieux compensée financièrement. Alors, la question est la suivante :

comment peut-on valoriser la maternité sans la sur-idéaliser ? Comment peut-on valoriser le travail des mères et l’importance de la maternité tout en valorisant aussi fortement les contributions que toutes les femmes apportent à notre société, à la maison, à l’église, dans la communauté, dans leur lieu de travail, dans le monde (je suggère quelques solutions possibles, plus loin dans cet article) ? Craignons-nous que, si nous valorisons la contribution des femmes en-dehors du cadre de la maternité et de la famille, les femmes choisissent de ne pas devenir épouses et mères ? Comment peut-on transmettre plus efficacement le message que les femmes sont précieuses en tant qu’individus, et pas uniquement en fonction de leur statut reproducteur?

3) Quand on idéalise la maternité, on prend le risque de transmettre aux jeunes femmes des attentes irréalistes, de la déception et la dépression lorsqu’elles se trouvent face à ses réalités.

Perpétuer la croyance que «si vous vous mariez dans le temple et commencez à fonder une famille, vous trouverez un bonheur sans fin, et que les aspirations les plus profondes de votre âme seront satisfaites» génère chez nos jeunes filles des attentes irréalistes. Pour être clair, je ne dis pas que nous devrions abandonner l’enseignement de l’importance des ordonnances et des alliances du temple, du mariage et de la maternité à nos jeunes. Ce que je dis c’est que de dépeindre une image romancée de la maternité, comme étant le chemin vers la félicité, le remède à la solitude et à la souffrance, et le seul chemin vers une vie ayant un sens, n’est pas du tout rendre service à nos jeunes filles. Au lieu d’idéaliser la maternité, il serait sage de les aider à acquérir un profond témoignage de Jésus-Christ, un sentiment solide de leur valeur individuelle, et des compétences relationnelles et émotionnelles qui contribueront à la résilience et à la force d’âme.

Peut-on enseigner que la maternité est une quête divine et qu’elle viendra aussi avec l’imprévisibilité de tous les autres domaines de la vie? Peut-on enseigner à nos jeunes filles des compétences de résilience pour les aider à gérer toutes les situations familiales diverses et variées auxquelles elles pourront être confrontées? Elles ne se marieront peut-être pas. Elles se marieront mais n’auront peut-être pas d’enfants. Elles se marieront et divorceront peut-être. Elles se marieront peut-être avec quelqu’un qui aura une dépendance ou une personne qui abandonnera peut-être sa foi. Elles se marieront et auront des enfants qui auront peut-être des problèmes de santé physique ou de santé mentale. Et la liste continue.

La maternité est importante non parce qu’elle va combler, de façon magique, vos lacunes en tant qu’être humain, mais parce qu’elle va vous donner de nombreuses expériences qui vous permettront de faire grandir votre âme et qui vous aideront à devenir plus comme vos parents célestes. Et … il y a beaucoup d’autres chemins de grande valeur qui offrent tout aussi bien des expériences de croissance énormes.

4) Lorsqu’on définit une femme seulement sur la base de sa maternité, on peut négliger le développement d’autres parties importantes de sa vie de femme.

Parfois, dans un effort sincère de rendre hommage aux femmes qui ont des enfants, nous diminuons par inadvertance d’autres contributions créatives qu’elles pourraient avoir en tant qu’individus. Il y a plusieurs années, je m’adressais à un groupe de femmes dans un pieu sur le thème de «prendre soin de soi et prévenir l’épuisement». Nous parlions des activités qui nous apportent de la joie. Une femme qui avait de la joie à peindre et qui avait du talent pour la peinture a raconté comment elle avait réalisé une affiche pour annoncer un événement à venir dans son voisinage. Son enfant était en admiration devant cette œuvre d’art sur son affiche et a dit : “Waouh, maman. C’est toi qui a fait ça?” Cette femme était surprise de se rendre compte que ses enfants n’avaient jamais vu sa peinture. Elle avait été tellement consommée par la maternité qu’elle n’avait pas partagé avec ses enfants cet aspect important de sa vie.

Les femmes sont des personnes aux dimensions multiples et elles ont des forces, des talents et des vocations uniques! Comprendre que, bien que la maternité puisse être un aspect important de l’expérience de vie d’une femme, il y a d’autres parties de sa vie à mettre en valeur. Peut-être qu’une femme (jeune ou vieille) est en train d’apprendre une nouvelle compétence, de faire des études, de gérer une entreprise, de développer un nouveau produit ou une nouvelle théorie, ou de créer quelque chose de «vertueux, aimable, qui mérite l’approbation ou est digne de louange» (Articles de Foi n°13). Faisons attention à apprécier également ces qualités, aspirations et contributions.

5) Lorsque nous mettons la maternité sur un piédestal, il se peut que nous diminuions involontairement la valeur de la paternité concernée.

Les enfants ont besoin de leur mère, et ils ont aussi désespérément besoin que leur père s’occupe d’eux et soit impliqué dans leur éducation. Les jeunes dont le père est profondément impliqué dans leur vie sont plus à même de prospérer dans tous les domaines de la vie; ils sont plus résistants, ils ont plus de fortes chances d’exceller et d’apprécier l’école, moins de fortes chances d’être agressés sexuellement, ils ont des relations plus positives avec leurs pairs, un sens plus élevé de leur estime d’eux-mêmes, ils sont plus empathiques, plus stables économiquement et, généralement, ils grandissent en ayant une vie plus satisfaisante et réussie. Les avantages temporels et spirituels d’avoir un père impliqué dans leur éducation sont vraiment infinis.

Dans la culture SDJ, à partir de 12 ans, on enseigne à nos jeunes gens quelles sont les responsabilités de la prêtrise, mais leur enseigne-t-on à être des pères impliqués et soutenant l’éducation de leurs futurs enfants? On enseigne l’importance de la maternité aux jeunes filles, il est donc logique, à mon avis, qu’on enseigne également aux jeunes gens aussi bien l’importance que les compétences pratiques de la paternité impliquée.

Suggestions pour équilibrer le débat sur la maternité :

1) La maternité est une relation, pas seulement un rôle

J’ai remarqué que les discours et les discussions sur la féminité et la maternité sont souvent liés au terme rôle, pourtant la virilité et la paternité sont rarement liées au terme rôle. Je pense que c’est une différence fascinante qui semble significative et en rajoute à mon malaise dans la façon dont on parle de la maternité.

Il y a quelques semaines, je méditais au sujet de la maternité pour me préparer pour ma participation à une émission de télévision à venir. Tout d’un coup, il m’est venu à l’esprit : la maternité est une relation, pas seulement un rôle! Lorsque nous définissons la maternité comme un simple rôle, nous y rattachons également des comportements socialement prescrits et des fonctions sociales qui peuvent sembler étroites et restrictives. Je préfère me concentrer sur l’idée d’aborder la maternité comme une relation, un lien affectif avec un autre être humain, au lieu d’une liste préétablie de devoirs prescrits. Par exemple, ma grand-mère est décédée il y a vingt-cinq ans, quand ma mère avait à peu près mon âge. Ma mère a toujours une mère, même si celle-ci n’est plus en vie, même si sa mère ne joue pas actuellement un certain rôle dans sa vie, elle est reliée à ma mère par un lien relationnel.

2) Redéfinir l’expression : une “bonne mère”

Quand nous mettons la maternité sur un piédestal, cela vient souvent avec des attentes inaccessibles : les femmes qui ont sacrifié tous leurs objectifs personnels pour leurs enfants, qui ne se sont jamais plaintes, qui n’ont jamais élevé la voix, et qui ont toujours été là pour leurs enfants. Lorsque nous pensons à la définition d’une «bonne mère», il s’agit souvent d’une image idéalisée basée sur des rôles sociaux, des comportements ou des tâches – la maman heureuse, bien habillée, qui attend que ses enfants arrivent à la maison de l’école avec un verre de lait et des biscuits chauds. Peut-être pensez-vous à une femme qui n’a jamais manqué un jour sans faire la prière en famille, ou qui prépare elle-même des repas bio chaque jour pour ses 10 enfants, ou qui assiste à tous leurs événements sportifs.

Plus je vieillis, plus je tends à définir la «bonne mère» sur la qualité de la connexion entre son enfant et elle et moins sur l’exécution de certaines tâches et comportements. Être une «bonne mère» est plus qu’une liste de traits et d’activités qui qualifient une bonne mère. Je me retrouve plus en train de réfléchir sur des questions telles que : «Est-ce que mes enfants savent que je suis là pour eux? Ressentent-ils que je les connais et que je les comprends? Suis-je à l’écoute de leur vie? Se sentent-ils à l’aise pour venir me demander de l’aide et du soutien?»

3) Souligner l’importance de la parentalité, notamment de la paternité

Qu’arriverait-il si nous incluions consciemment la paternité dans nos discussions sur l’éducation des enfants (au lieu de nous concentrer principalement sur la maternité)? Et si nous équilibrions nos discussions sur le fait d’être un digne détenteur de la prêtrise avec celles traitant de la façon d’être un père aimant et encourageant? Et si nous parlions à nos jeunes gens de l’importance de la paternité autant que nous parlons à nos jeunes filles de l’importance de la maternité? Étant donné l’importance des relations familiales, voilà des questions qui semblent importantes à prendre en considération.

Je sais que le sujet de la maternité est un sujet sensible qui soulève de nombreux sentiments divers. Vous avez peut-être eu une mère absente, négligente ou brutale. Vous avez peut-être des enfants mais vous n’êtes pas toujours le genre de mère que vous voudriez être. Vous attendez peut-être avec impatience le jour où vous serez mère mais n’en avez pas eu l’occasion. Il se peut que vous ne vouliez pas être mère et que vous vous sentiez coupable parce que vous devriez vouloir être mère. Quelle que soit notre situation, essayons d’être sensible à la diversité des expériences de nos sœurs et donnons de la valeur à toutes leurs contributions. Nous savons que «la valeur des âmes est grande aux yeux de Dieu» (D&A 18:10), et cela inclut toutes les femmes, de manière individuelle, (et tous les hommes) sur cette terre.


Par Julie de Azevedo Hanks · 12 octobre 2015