« Une œuvre inachevée » Une artiste d’Utah explique ce que l’art et la stérilité lui ont appris sur la valeur de l’âme.
PROVO. Regarder Caitlin Connolly se préparer à peindre est comme regarder un chirurgien se préparer pour une opération. Elle met des gants, met de la musique et observe la personne représentée sur la toile en essayant de voir quels sont les besoins. Elle aime considérer les personnes qu’elle peint comme étant des « âmes miniatures », et c’est elle qui leur donne vie.
Connolly est maintenant la mère de jumeaux de 6 mois. Mais il fut un temps, durant les années de stérilité, où cette artiste d’Utah pensait ne pas être à la hauteur en tant que femme, « pas une mère, pas une éducatrice, pas une bonne épouse, tout simplement pas à la hauteur. »
Puis elle a commencé à visualiser les visages qu’elle avait peint dans sa tête.
C’est à ce moment-là que Connolly a réalisé quelque chose.
« Non, je n’avais pas physiquement porté d’enfants, mais j’avais donné vie à des centaines et des centaines de personnes qui n’auraient jamais existé si je ne les avais pas créées », dit-elle. « Cela a changé mon cœur et j’ai pris conscience de ma propre capacité à « élever » à partir de ce moment. Et je pense que c’est le cas pour tout le monde, pas seulement pour moi en tant qu’artiste. Quelles sont les choses que vous avez créées et dont vous vous êtes occupé, qui n’existeraient pas si vous ne l’aviez pas fait ? »
Par le biais de son art, Connolly est à la recherche de réponses. Elle cherche des idées. Et à travers chacune de ses œuvres, elle raconte l’histoire de sa vie.
Connolly a grandi dans un foyer ou elle n’avait que des frères. Son père était entrepreneur et sa mère professeure de flute, un mélange qui, selon elle, lui a donné des compétences uniques. Elle a commencé à jouer de la flute à l’âge de cinq ans, et il semblait au départ qu’elle était destinée à être musicienne. Elle a rencontré et commencé à fréquenter son mari Robbie, un guitariste actuellement en tournée avec les Killers, au lycée East High de Salt Lake City. Ils ont toujours adoré faire de la musique ensemble.
« Nous avons toujours eu une relation joyeuse et passionnée », dit Connolly. « Je me souviens faire la choriste sur les chansons qu’il écrivait dans sa chambre sur l’un de ces vieux ordinateurs Mac bleu turquoise, et chanter ensemble dans des groupes. »
Ce n’est qu’après quelques années à l’université qu’elle a choisi une classe de dessin pour savoir si elle pourrait trouver un épanouissement personnel avec l’art, tout en offrant une part d’elle-même aux autres.
Elle était attirée par les portraits féminins et l’art figuratif. Elle se rappelle être particulièrement fascinée par la représentation des femmes de Modigliani. Son art a inspiré Connolly à « jouer avec » les portraits traditionnels des femmes, jouant avec les proportions et la profondeur de champs, jusqu’à ce qu’elle trouve les femmes qu’elle souhaitait découvrir.
« Elle se sentent grandes, importantes, capables, elles peuvent accomplir des choses », dit Connolly des femmes dans ses œuvres. « Quand je vais dans les musées, je vois tellement de peintures où les mains et les pieds des femmes ont été peints plus petits, je ne sais pas pourquoi. Des petites mains délicates gentiment posées sur leurs genoux. Je ne le comprends pas et je ne m’identifie pas à cela. Je peints des femmes qui peuvent faire des choses avec leurs mains et se déplacer avec leurs pieds. Cela me semble logique. »
Dans un studio aux allures de grange chez elle, à Provo, Connolly découvre ces femmes, et ce faisant, elle lutte pour se comprendre elle-même. Elle dit que, bien qu’elle ait été élevée en tant que membre de l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours et qu’elle ait récité le thème des Jeunes Filles : « Nous sommes les filles de notre Père Céleste qui nous aime, et nous l’aimons », elle se pose depuis longtemps des questions sur sa valeur personnelle.
« Je pense que la mortalité est parfois un cheminement obscur, compliqué, difficile et déroutant », dit-elle. « Il y a aussi de la joie, et les écritures disent : « Les hommes sont pour avoir de la joie », mais qu’en est-il des nombreux moments où nous n’avons pas de joie ? Et que signifient-ils ? »
Dire que Connolly a lutté contre la stérilité pendant sept ans est la manière la plus simple de quantifier une période de sa vie dont elle dit être en réalité bien plus compliquée que cela. Elle s’est souvent demandé si elle avait envie d’avoir des enfants, et pensait parfois qu’être mère semblait vraiment difficile. Et, alors qu’elle explorait ses sentiments sur le sujet, ceux-ci prenaient vie devant ses yeux.
« Beaucoup de mes peintures exprimaient la joie d’être mère, mais aussi les challenges, et je pense qu’il s’agissait pour moi d’une façon de me demander : « Comment tout cela se passerait-il s’il s’agissait de ma vie ? Comment cela serait d’avoir des enfants ? » Se souvient Connolly.
Rétrospectivement, elle voit ces sept années comme une période de préparation, et quand elle et Robbie ont décidé de tenter la fécondation in vitro, elle s’est « sentie très prête à devenir mère », un sentiment qu’elle n’avait pas eu auparavant.
« Une chose que j’ai apprise en explorant les thèmes de la féminité et de la maternité, est qu’avoir des enfants ou ne pas en avoir est un cheminement tellement central et émotionnel pour les femmes », dit Connolly. « Certaines femmes ont des enfants quand elles n’en veulent pas, d’autres veulent avoir des enfants et ne le peuvent pas, d’autres perdent leurs enfants, d’autres ont des enfants et n’aiment pas être mères, d’autres aiment être mères, c’est une expérience tellement personnelle et unique.
« Je suis très reconnaissante pour mon expérience avec la stérilité et avec la fécondité. Ma période de stérilité était à la fois difficile et très enrichissante, et elle m’a préparé à la maternité d’une manière très importante et nécessaire pour moi. »
Quand les Connollys ont pris la décision de tenter la fécondation in vitro, Caitlin travaillait sur une peinture de 4 mètres de haut qui représentait un Père Céleste et une Mère Céleste avec leur postérité. Pendant les années durant lesquelles elle a travaillé sur cette peinture, du haut de son échafaudage, Connolly a passé beaucoup de temps à regarder et à penser à cette Mère Céleste, à la maternité et à la beauté de créer une famille humaine. C’est lorsqu’elle se préparait à livrer la peinture terminée qu’elle a découvert qu’elle attendait des jumeaux. Le moment était venu pour elle de commencer sa propre famille humaine.
L’une des œuvres les plus récentes de Connolly est une sculpture qui évoque « la dynamique intense et toute nouvelle que je ressentais en étant enceinte de nos premiers enfants, nos jumeaux, l’année dernière, et mon besoin de m’appuyer sur (Robbie) plus que je ne l’avais jamais fait ». Le nom de la sculpture est « L’homme portant la femme et la femme portant l’homme. »
Connolly pense que son époux et elle attribuent le plus gros de leur succès et de leur bonheur à leurs projets individuels, « ce qui est assez drôle », dit-elle en souriant. Leur projet le plus récent est une entreprise commune qu’elle appelle « le juste équilibre ».
Greg McKeown, auteur du livre « Essentialism », fait écho aux sentiments de Connolly car elle a appris l’importance d’identifier et de choisir les choses les plus essentielles tout en acceptant la contre partie qui vient avec. « Mon mari et moi sommes d’accord sur le fait que la famille vient en premier. Nous adorons être ensemble, être avec nos petits garçons, être chez nous, et nous sommes également tous les deux très passionnés et aimons travailler dur », dit-elle. « Nous discutons très souvent de la manière dont nous utilisons notre temps et nous nous efforçons de faire de notre mieux compte tenu de notre situation. Et si les choses ne marchent pas bien, nous faisons une pause, modifions certaines choses puis nous continuons à avancer. »
Elle décrit la maternité comme étant émotionnellement et physiquement épuisante, mais elle dit qu’avec l’aide des autres, elle est plus heureuse qu’elle ne l’a été auparavant. Et qu’en est-il de cette valeur personnelle qu’elle cherchait à comprendre ? Connolly se retourne sur sa chaise dans son studio pour regarder les nombreux personnages auxquels elle a donné vie, pour semble-t-il réfléchir à la question.
« Ma valeur personnelle est réelle et indépendante des épreuves et des difficultés, et également indépendante des accomplissements, y compris de ceux tels qu’avoir des enfants et avoir du succès. Ma valeur personnelle est tout simplement là », répond Connolly en ajoutant plus tard : « J’ai aussi appris que la mortalité est difficile. Mes peintures reflètent cette expérience. Je travaille de manière très soustractive et additive. Je construis des choses avec la peinture, puis je les ponce. Je passe des heures et des heures sur une peinture pour ensuite la mettre dans mon atelier quelques jours ou quelques mois plus tard, et je la ponce (en partie ou entièrement) pour recommencer. Et c’est ce jeu de construction et de démolition de ce qui ne marche pas, qui donne mes peintures préférées. C’est un procédé très symbolique et thérapeutique pour moi, et cela me rappelle que tout va bien, que je suis moi aussi une œuvre inachevée. J’ai besoin d’expériences pour « me poncer » et me polir, et j’aurai ensuite des expériences qui me reconstruiront, et je sais que sur la durée je progresse, et c’est une bonne chose. »
Article publié dans Deseret News sous le titre ‘A work in progress’: Utah artist Caitlin Connolly on what art and infertility taught her about the worth of a soul et traduit par Samuel Babin.